La desserte des quartiers ouest

Par M. Aubery,
Ingénieur Principal Adjoint, Chef du service Organisation, Essais et Matériels

 

Relier un groupe de quartiers exploités par tranches plates, dans de petits chantiers, où l’on roule la benne de 600 litres, à un grand roulage par bennes de 3m3: tel était le problème de desserte qui se présente en 1939.

Nous exposerons dans une première partie les conditions qui étaient imposées tant par la méthode d’exploitation que par le programme d’extraction ; puis nous dirons quelles solutions furent envisagées, et celles qui furent choisies;  après quoi, dans une troisième partie, nous décrirons les organes de desserte, les résultats obtenus, et les détails particuliers à l’aménagement ; enfin, nous essaierons de juger, aussi objectivement que possible, à la lumière et à l’expérience de 16 mois de marche, ce qu’on peut penser de cette  réalisation.

 

I-Position du problème de desserte

Deux quartiers sont à desservir : celui de « Troussieux », dont les tranches entre les cotes 240 (l’amont est entièrement dépilé), et 138 (l’aval est exploité par un autre puits), ont une superficie de 8 à 10 000 m² ; ce panneau renferme environ  1 500 000 tonnes, soit près de 12 ans de marche à raison de 500 tonnes/jour, et celui de « saint Thomas », situé immédiatement à l’est du précédent.

Ce dernier panneau, découvert, puis reconnu en dernier lieu, offre des tranches de 3 à 6 000 m² ; le gisement à exploiter commence à la cote 350 et descend à la cote 138 ; le cube est évalué à 1 000 000 de tonnes, et la production prévue de 300 tonnes/jour, à partir du milieu des années 1945.

Le premier quartier est exploité par sous étages de trois tranches de 3 m prises en montant, avec remblai pneumatique; le second quartier doit être exploité, d’ici quelques mois, avec la même méthode.

Dans ce genre de gisement, avec couches à feux, nous traçons les plans inclinés de desserte au mur de la couche; ces plans, dont la pente est de 15 à 25°, sont équipés à bennes. Le choix de la position des plans présente quelque difficulté; il résulte d’un compromis entre les données de la desserte, le désir de réduire au minimum la longueur des Travers Bancs (T.B.) et le souci de les placer au mur pour éviter le risque de feu, et les inconvénients des formations schisteuses du mur qui font charger les galeries.

La position des 3 plans de desserte de Troussieux et du plan de desserte de Saint-Thomas était imposée par ces considérations.

De cet ensemble de circonstances résultent les conditions qui s’imposaient à nous comme des données lors de l’étude :

a) les tranches et les plans des quartiers, seraient desservis en bennes de 600 litres ; le niveau de roulage serait desservi en bennes de 3 m3 ; nous devions prévoir quelque part un culbutage;

b) le niveau de roulage est à la cote 103; la base des quartiers est à la cote 138 ; nous pouvions disposer le roulage en petites bennes devant rassembler les productions des 4 plans, à une cote quelconque; pratiquement, nous tenions à choisir une cote voisine du 1/3 inférieur de l’étage de Troussieux (cote 172), afin de réduire la longueur des plans de service;

c) la production du quartier était faite en deux postes sensiblement identiques. Or, l’extraction par le Puits Charles était prévue en un seul poste; le problème de culbutage devait donc être examiné avec, si possible, stockage d’une certaine fraction de la production. En outre, on devait prévoir la desserte du remblai des préparations, soit environ 10 % de la production;

d) la position des plans au rocher étant fixée en fonction des données topographiques du gisement, leurs bases (à la cote 172) nous était donnée.

 

 

La desserte devait donc être étudiée pour résoudre un roulage en petites bennes, rassemblant les productions de quatre plans inclinés, puis un changement d’étage (entre la cote 172 et la cote 103), avec changement de bennes, possibilité de passer du remblai, et, éventuellement, de stocker une partie de la production.

 

II-Examen des solutions envisagées
La question du roulage en petites bennes et celle de la desserte entre la cote 172 et 103 peuvent être examinées indépendamment.

A-Le roulage cote 172
La cote 172 avait été choisie pour assurer au mieux la desserte intérieure des quartiers; par suite de la forme en croissant des tranches de Troussieux, il n’était pas possible de tracer à la cote 172 un niveau au mur, partant d’une gare, et desservant successivement les quatre bases des plans.

Nous avions, par contre, un tracé acceptable en reliant directement la gare (qui devait être sensiblement à l’aplomb du T.B. de la cote 103) aux bases de plan, par un tracé rayonnant.

La longueur de ses branches est relativement courte ; le plan le plus éloigné est à 350 m de la gare, le plus rapproché à moins de 100 m.

Ce tracé s’oppose à l’emploi de traînage par câbles ou chaînes sans fin ; nous avions le choix entre le roulage par locomotives et le traînage par câble-tête et câble-queue.

Les deux solutions ont été étudiées : l’emploi de locomotives est sans doute mieux adapté que celui des traînages câble-tête et câble-queue à un roulage à schéma rayonnant, mais l’installation de locomotives (il ne pouvait être question à ce moment que de locomotive diesel empruntées à notre matériel) à un étage intermédiaire nécessite l’aménagement d’un petit atelier d’entretien, et impose à l’aérage certaines exigences (débit minimum donné dans chaque branche du roulage) peu commodes.

Les traînages permettaient un meilleur prix de revient : au cours de 1939, le coût de la desserte était par tonne de:

2,16 fr. avec tracteurs Diesel,
2,02 fr avec traînages à air comprimé
1,60 fr par traînage à treuils électriques.

La solution par traînage à treuils électriques fut décidée ; nous avions prévu que ces traînages seraient organisés « à brins croisés », c'est-à-dire sans atteler les bennes entre elles.

Les doubles voies d’extrémité, côté plans de quartier, étaient prévues avec un cul-de-sac de 20 m pour permettre le triage des bennes de remblai, afin de faire des rames de bennes de produits homogènes.

La gare du côté culbutage, en raison de sa faible longueur, était prévue avec une triple-voie, dont deux voies pleines, réunies par une aiguille à la voie d’alimentation du culbuteur; au-delà de cet appareil, un rebroussement devait conduire les vides à une chaîne releveuse, qui alimentait la voie vide. Nous avions prévue les voies pleines horizontales, mais munies d’un appareil ravanceur à chaîne sans fin; la voie vide était prévue automotrice (pente 10 mm par mètre).

B - Desserte 172/103
L’emploi d’un plan incliné pour petites bennes, afin de descendre les charges de la cote 172 à la cote 103, n’avait pas était pris en considération, en raison du personnel important qu’il aurait nécessité. On étudiera les deux solutions suivantes :

- culbutage à 172 dans un bure muni d’un descenseur hélice,
- culbutage à 172 dans un descenseur à palettes, dans un plan incliné reliant la cote 172 à la cote 103

Dans les deux cas, on prévoyait le creusement d’un plan au rocher entre les deux cotes, afin de mener à bien les travaux préparatoires, et, plus tard, la circulation du personnel et l’alimentation  en matériel.

La solution par descenseur hélice était la plus séduisante, en raison de la simplicité d’un tel appareil, et de son utilisation possible comme appareil de stockage; malheureusement, il nous était difficile de pouvoir en 1939, compter sur un matériel qui aurait dû être commandé en Allemagne; en outre, par suite de la mobilisation, nous ne pouvions entreprendre des travaux préparatoires au rocher, tel que le creusement d’un bure de 70 m avec le personnel réduit que nous avions.

La solution par descenseur dans un plan incliné ne permettait sans doute aucun stockage ; mais elle comportait un appareil dont nous avions l’expérience dans nos tailles chassantes; elle comportait le minimum de taille au rocher.
Cette solution était la plus indiquée, étant données les circonstances de l’époque; elle n’avait comme inconvénients que la suppression du stockage, et l’emploi d’un appareil mécanique.

En ce qui concerne le stockage de la production des postes 2 et 3, soit environ 200 à 250 tonnes, nous ne pouvions espérer stocker dans un descenseur hélice de 1,20 m de diamètre que 1 m3 environ par mètre, soit en tout 70 m3; le reste devait être stocké, soit dans les petites bennes, à 172, soit dans les bennes de 3 m3; le stock devait être, de toute manière, en grande partie en bennes; le stockage de 70 m3 en grandes bennes demande 25 bennes.

L’emploi de descenseur mécanique dans un plan où il est installé à poste fixe, dans de bonnes conditions, avec moteur électrique, n’offre pas beaucoup de risque de pannes ; dans le premier projet, on avait prévu deux descenseurs situés l’un au-dessus de l’autre ; en fait, on n’en monta qu’un, et l’expérience montra que c’était suffisant.
La solution avec descenseur dans le plan incliné fut choisie. Le plan fut tracé à 30° de pente, pour avoir les meilleures conditions de desserte.

 

III-Description et organisation de la desserte
Une desserte ne remplit son office avec économie et régularité que si la réalisation des détails est impeccable, aussi joindrons nous à la description des installations celle des difficultés dont la mise au point a demandé, soit de la part des constructeurs qui nous a fourni le matériel, soit de la part des ingénieurs de la compagnie, un effort d’imagination couronné de succès. En suivant le parcours du charbon, nous passerons en revue :

-les traînages,

- la gare de la cote 172,

- le culbuteur,

- les descenseurs.

Le point de chargement a été décrit plus haut.

A) Traînages
Les traînages câble-tête et câble-queue ont été équipés à brins croisés, les convois étant halés par la dernière benne; nous avons obtenu, par ce procédé, une économie de main d’œuvre (suppression des enguironnages et déguironnages des bennes), et la possibilité d’amener les convois le plus près possible des plans.

Les bennes, poussées et non tirées, ont tendance à se mettre en crabe, d’autant plus que les essieux ont plus de jeu; avec nos bennes de 600  litres à canon graisseur, il a été nécessaire d’avoir un ferrage parfait, en rails de 16 k/m et, dans les courbes et les appareils de voie, des contre-rails surélevés; nous avons utilisé des fers 30 x 40 soudés sur des équerres de forme spéciale.

Les câbles, courant le long du convoi, doivent être supportés toutes les 8 ou 10 bennes au moyen d’un crochet spécial.

L’attelage étant fait par le lacet latéral de la benne, qui est à la cote de 35 cm (tandis que le lacet inférieur est à 13 cm) au dessus du ferrage, on a dû employer dans les courbes des poupées surélevées.

Les treuils choisis sont des « Electroblocs » 7 CV. Afin de dégager la double-voie, à chaque extrémité, nous avons étudié un support horizontal de ces treuils. Ce support est constitué par un tube de 20 mm de diamètre, sur lequel est boulonné (avec possibilité de réglage en direction) une chaise, étudiée pour qu’on puisse y fixer, soit les Electrobloc, soit les Moussiaux C2 (treuils à air comprimé prévus comme treuils de relais).

La gare centrale ayant à desservir 3, puis plus tard 4 plans de quartier, nous avons disposé à cette gare 2 treuils, spécialisés chacun pour 2 plans.

Un treuil assure la desserte des plans Ouest et central ; afin d’assurer un roulage sans manque à vides, ce traînage a pour consigne de rouler aussitôt prêt, alternativement d’un côté et de l’autre.
L’autre treuil assure, jusqu’à présent, la desserte du seul plan Est, il est simplement soumis à la consigne de rouler à convois constants, de 20 bennes.

Le personnel chargé des traînages comprend 2 hommes à la gare centrale et 2 à chaque base de plan ; ces 2 ouvriers assurent la marche du traînage et l’embranchage des bennes à la base du plan. La production, qu’il est possible de desservir est de 700 bennes au poste.

Signalons que le T.B. de base du Plan Central comporte une porte d’aérage. Cette porte a été munie d’une commande à air comprimé, actionnée dans les 2 sens par les bennes, au moyen de cames situées contre le parement de la galerie, actionnant des distributeurs Lecq.

B) Gare de la cote 172
Nous avons vu que cette gare comprend 2 voies pleines de 60 m, situées de part et d’autre de la voie vide.
Les treuils de traînage sont situés à 15 m de l’extrémité, ils permettent de mener les convois pleins dans les deux voies pleines.

Ces deux voies descendent de 5 mm par m sur une longueur de 55 m. Au-delà, une pente de 20 mm par m a été aménagée, pour alimenter le culbuteur.

La destruction des rames pleines, et leur acheminement vers le tronçon à pente automotrice, est assurée par un appareil ravanceur. Cet appareil n’est autre qu’une chaîne sans fin (chaîne marine de 16 mm) munie de chariots pousseurs et mue par un moteur électrique de 5 CV.

Les vides culbutées sont remontées par une chaîne releveuse (chaîne marine de 16 mm) à une côte suffisante pour qu’elles descendent par gravité jusqu’à l’extrémité de la voie vide (pente de 15 mm par m).

Grâce à cette disposition, les vides passent au dessus de la voie pleine venant du Plan Est.

Cet équipement nous a donné entière satisfaction, il nous permet d’assurer la desserte avec les deux hommes du traînage (signalés ci-dessus), et l’homme préposé au culbuteur.

Signalons que l’extrémité du rebroussement doit être prolongée, afin d’installer un poste de nettoyage et de graissage des bennes du fond.

C) Culbuteur
Nous avons demandé à la Société Stéphanoise de Constructions Mécaniques, un culbuteur automatique permettant de passer 180 bennes à l’heure. L'appareil qui nous a été fourni, entièrement automatique, permet de passer près de 300 bennes à l’heure.

L’homme préposé au culbuteur assure la marche des 2 ravanceurs des voies pleines, du culbuteur, de la chaîne releveuse et du descendeur du plan. Il est relié par une signalisation électrique avec le point de chargement de la cote 100.

D) Descenseur du plan
Le descenseur est équipé de couloirs de 600 mm de large, comportant, en une seule pièce, l’auget supérieur (auget de desserte) et l’auget inférieur (retour des chaînes).

Le descenseur est relié à la fosse du culbuteur par une gaine de courte longueur, à la forte pente. A son extrémité aval, il est relié par une gaine à 40° à la trémie du point de chargement.

La tête motrice est du type Eickhoff FBA4, munie d’un moteur électrique de 25 CV à 1500 tours.

La première installation avait été faite avec des couloirs du même modèle que ceux que nous employons dans nos tailles chassantes. L’expérience a montré qu’ils présentaient, pour l’emploi dans un plan certains défauts:

- l’alimentation est irrégulière. Elle se fait benne par benne. Il en résultait des débordements du couloir. Nous y avons remédié, d’une part, en munissant des couloirs de hausses destinées à en accroître la capacité, d’autre part, en disposant au point de chargement du descenseur un volet lesté, articulé, destiné à régulariser le débit;
- Les joints entre les couloirs étaient imparfaits, de sorte qu’une quantité de fines assez importante s’échappait des couloirs, et que le plan devait être nettoyé quotidiennement. Nous y avons remédié en réalisant des couloirs étanches, en particulier sur les flancs;
- La desserte du remblai provoquait une usure importante des couloirs, nous avons dû mettre en service des couloirs renforcés, en tôle plus épaisse, et munis de plats d’usure au droit des chaînes dans les bacs supérieurs;
- La station de renvoi provoquait une remontée de fines; elle a été munie d’une grille, et les remontées sont devenues insignifiantes.

Après ces mises au point, nous sommes arrivés à réduire à un ouvrier le personnel affecté à la surveillance et au nettoyage du descenseur du plan. Cet ouvrier retire du descenseur les déchets de bois, susceptibles d’obstruer la trémie.

 

IV - Critique de la desserte
L’installation a été mise en service au début de l’année 1944 ; elle marche très régulièrement, à raison de deux postes par jour. En dehors des difficultés qui se sont présentées lors de la mise au point, et qui ont été résolues, on a éprouvé de gros ennuis à envoyer du remblai dans le descenseur à palettes. C’est la seule critique sérieuse que l’on puisse faire.

On a dû prendre des dispositions pour mettre en place tout le remblai produit dans les travaux préparatoires. De ce fait l’aménagement de doubles voies aux bases des plans permettant de trier les bennes est devenu superflu.

Une question reste à débattre: aurions-nous eu intérêt à adopter la solution avec bure et descenseur à hélice?
Nous avons eu l’occasion, depuis 1939, d’utiliser, sur de faibles hauteur (15 à 20 m), les descenseur hélice. Il semble bien que cet appareil soit supérieur au descenseur à palettes, sous réserve qu’il soit bâti assez solidement pour subir avant usure le passage d’un tonnage de l’ordre de 600 à 800 000 tonnes.

Dans ces conditions, nous aurions dû équiper le bure avec deux descenseurs, l’un affecté au charbon, et l’autre au remblai, ce dernier servant de relais lorsque le premier serait en réparation.

Cette solution aurait permis de résoudre la question de la desserte du remblai. Mais il n’est pas prouvé qu’elle eut permis de résoudre la desserte du charbon dans des conditions nettement plus avantageuses que la solution que nous avons adoptée.